mardi 25 mars 2008

(2) De l'indignation

"L'opposé de la pitié, c'est principalement l'indignation ; car il y a opposition entre la peine que nous cause un malheur immérité et celle que, dans un même sentiment moral, nous éprouvons à la vue d'un succès immérité ; et, dans les deux cas, ce sentiment est honnête."

Contre qui s'indigne-t-on ? ; pour quels motifs, dans quel état d'esprit ?

Jamais contre un homme juste ou brave ou vertueux, nous dit Aristote. En revanche, on s'indignera contre la richesse, le pouvoir et autres avantages "dont sont dignes les gens de bien et ceux qui possèdent des biens naturels ; comme, par exemple, la noblesse, la beauté et toutes autres choses analogues."
Ce sont ces avantages "non naturels" qui nous indigneront s'ils nous les pensons immérités.

Plus clairement, on s'indignera des biens (richesse, puissance, célébrité) du nouveau riche, tandis que le bien du vieil aristocrate ne nous fera pas dresser l'ombre d'un poil. (Aristote aurait fait un mauvais révolutionnaire, mais on s'en doutait; aussi, toutes révolutions digérées – ou presque, on notera que finalement, on n'est pas si loin de ce compte en ce qui concerne notre perception de la légitimité des privilèges).

"Comme chacun des biens n'est pas mérité par n'importe qui, mais qu'ils comportent une certaine corrélation et convenance (par exemple, la beauté des armes n'a pas de rapport de convenance avec le juste, mais avec le brave ; ni les brillants mariages avec les gens nouvellement enrichis, mais avec les nobles), conséquemment, si, tout en étant un homme de bien, on n'obtient pas un avantage qui réalise cette convenance, il y a de la place pour l'indignation ; et, de même encore, si l'on voit un inférieur entrer en lutte avec un supérieur et, surtout, si le conflit porte sur un même objet. De là ces vers :

Il [Célébrion] déclinait la lutte avec Ajax, fils de Télamon ;
Car Zeus se fût indigné contre lui s'il eût combattu un homme qui lui était supérieur."


On ne mélange pas torchons et serviettes, vous devriez le savoir.

Toutefois, ne s'indigne pas qui veut :

"On est disposé à s'indigner (d'abord) dans le cas où l'on vient à mériter les plus grands biens et à les acquérir, car prétendre à des avantages semblables, quand on ne se trouve pas dans des conditions morales semblables, ce ne serait plus de la justice.

En second lieu, dans le cas où l'on est honnête et homme de valeur ; car, dans ce cas, on juge sainement et l'on hait l'injustice.

De même si l'on a de l'ambition et un vif désir d'accomplir certaines actions, et, surtout, si notre ambition a pour objectif tel avantages dont les autres seraient précisément indignes.

En un mot et d'une manière générale, ceux qui prétendent mériter telle chose dont ils ne jugent pas les autres dignes sont enclins à s'indigner contre ceux-ci. Voilà pourquoi les caractères serviles, sans valeur et sans ambition, ne sont pas suscpetibles de s'indigner : il n'est rien dont ils se puissent croire eux-mêmes être dignes."

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