jeudi 20 mars 2008

(1) De la pitié

Aristote, dans sa Rhétorique, place la pitié aux côtés de l'indignation et de l'envie : voilà qui intrigue fort Mademoiselle Frog, souvent perdue entre les deux premières (l'envie, les anoures croient ne pas tant la connaître, mais peut-être se trompent-ils, nous allons le savoir ici peut-être)

La pitié donc, serait éprouvée devant un malheur immérité, l'indignation devant un succès immérité, tandis que l'envie elle, porterait ses pointes sur un succès que l'on aimerait croire immérité.

Mais entendons plutôt les éclairages de ce grand vicieux de maître :

"La pitié sera le chagrin que nous cause un malheur dont nous sommes témoins et capable de perdre ou d'affliger une personne qui ne mérite pas d'être atteinte, lorsque nous présumons qu'il peut nous atteindre nous-mêmes, ou quelqu'un des nôtres, et cela quand ce malheur paraît être près de nous."

Sommes-nous tous aptes à éprouver de la pitié ?
Selon Aristote, non, évidemment. Celui qui est "tout à fait perdu" n'en éprouvera pas, persuadé qu'il ne peut plus rien éprouver, pas plus que celui qui se pense au comble de la félicité : de quel mal pourrait-il bien souffrir, lui que rien ne semble atteindre ? Ceux qui éprouvent la pitié sont toutes ces personnes qui, "par une disposition naturelle, sont portées à réfléchir qu'elles pourraient être éprouvées elles-mêmes, savoir : celles qui l'ont déjà été et qui ont pu se tirer d'affaire ; les vieillards, par bon sens et par expérience (hum NdMF) ; les gens faibles et les lâches encore davantage ; les personnes cultivées, lesquelles sont aptes à raisonner."

Pour éprouver de la pitié enfin, on ne sera ni trop téméraire, ni trop courageux (la pitié n'est pas affaire de soldat), surtout pas arrogant (l'arrogant est aveugle). On aura de la pitié enfin si l'on "croit qu'il existe d'honnêtes gens ; car, si l'on a cette idée de personne, on trouve toujours que le malheur est mérité."

"Quand aux personnes qui nous en inspirent, ce sont nos relations, lorsqu'elles ne sont pas tout à fait intimes ; car, pour celles-ci, nous éprouvons les mêmes sentiments que nous ferait éprouver notre propre situation. Voilà pourquoi Amasis ne pleura pas sur son fils que l'on conduisait à la mort, et pleura sur son ami qui demandait l'aumône. Le sort de celui-ci était lamentable*, mais celui du premier était terrible : car le terrible diffère du lamentable ; il exclut même la pitié et, souvent, il peut favoriser le sentiment contraire."
Exciteront également notre pitié tous ceux qui ont avec nous "des rapports d'âge, de profession, d'opinions, de naissance...", soit toute personne à laquelle nous pourrons nous identifier.

Pitié et représentation : passage et passeuse
"Comme les épreuves qui paraissent à notre portée excitent de la pitié, tandis que, n'ayant ni l'appréhension, ni le souvenir de ce qui est arrivé il a des centaines d'années, ou arrivera plus tard**, nous ne ressentons aucune pitié, ou tout au moins le même genre de pitié, il s'ensuit naturellement que ceux qui contribuent à nous représenter des faits lointains par leur costume, leur voix et, généralement, avec tout l'appareil théâtral, seront plus aptes à faire naître la pitié ; car il approchent de nous qu'ils reproduisent devant nos yeux, soit comme futur, soit comme passé."


* Nous soulignons (NdMF)
** On pourrait ajouter : ce qui est arrivé loin de chez nous.

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