mardi 4 mars 2008

Où le passeur s'interdit la larme

"J'ai senti l'amertume t'envahir. Le fourgon noir même lent se dépêchait d'aller livrer aux termites un triste Nègre. Tu t'es sentie peser rien qu'un minable et léger fétu de paille. Alors, t'a saisie à la gorge une étouffante envie de hurler. Au ventre quelque chose te tordait les boyaux, comme la lavandière étripe et torsade le linge au marigot. Tu as eu mal pour l'infortuné Nègre ou la Négresse que le corbillard allait livrer aux termites. Même si tu n'en connaissais ni la marque, ni le sexe, ni l'âge, ni la tribu, tu t'es sentie monter des tripes jusqu'à la mare cachée derrière l'oeil, une buée épaisse comme un nuage de plein hivernage ; une haine contre les termites qui vont s'empresser de dévorer le Nègre ou la Négresse. Maintenant encore, parce que je t'en parle, tu sens le flot de larmes remonter du fond d'un sanglot étouffé. Ne laisse jamais ton âme pleurer, ma petite bergère ! Assèche la larme ! Les pleurs ne sont pas faits pour un visage d'ange comme le tien. [...]
Il n'y a que le malotru pour déshabiller ses molaires, l'idiot pour laisser lire la douleur sur les stigmates de son visage. Intolérable expansivité ; vertu des seuls coeurs fragiles."

• La Phalène des collines, Koulsy Lamko, Le Serpent à plumes, 2002.

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