jeudi 15 mai 2008

L'Odeur du café : je suis une lectrice haïtienne

"Da boit son café. J'observe les fourmis. Le temps n'existe pas."
(p. 26)

"Mon nom
Personne ne connaît mon nom, à part Da. Je veux dire mon vrai nom. Parce que j'ai un autre nom. Da m'appelle parfois Vieux os. J'aime vraiment me coucher le plus tard possible. Quand Da m'appelle ainsi, j'ai véritablement l'impression d'avoir cent ans. C'est moi qui ai demandé à Da de garder secret mon nom. Je veux dire mon vrai nom."

"Les fourmis
Les fourmis ont-elles un nom ? Elles courent comme des dingues dans les fentes des briques. Dès qu'elles se croisent, elles s'arrêtent une seconde, nez à nez, avant de repartir à toute vitesse. Elles se ressemblent toutes. Peut-être portent-elle le même nom ?"

"Lumière
Le soleil paraît toujours plus vif après la pluie. On dirait que chaque flaque d'eau reçoit un rayon lumineux. Une petite lueur au fond de l'eau. Les yeux de la terre."

"Bleu
Da m'a toujours dit que si le ciel est bleu, c'est à cause de la mer. J'ai longtemps confondu le ciel avec la mer. La mer a des poissons. Le ciel, des étoiles. Quand il pleut, c'est la preuve que le ciel est liquide."

"Le Livre (trente ans plus tard)
J'ai écrit ce livre pour toutes sortes de raisons. Pour faire l'éloge de ce café (le café des Palmes) que Da aime tant et pour parler de Da que j'aime tant.
Pour ne jamais oublier cette libellule couverte de fourmis.
Ni l'odeur de la terre.
Ni les pluies de Jacmel.
Ni la mer derrière les cocotiers.
Ni le vent du soir.
Ni Vava, ce brûlant premier amour.
Ni le terrible soleil de midi.
Ni Auguste, Ni Frantz, Rico, mes amis d'enfance.
Ni Didi, ma cousine, ni Dina, ni Sylphise, la jeune morte, ni même ce bon vieux Marquis.
Mais j'ai écrit ce livre surtout pour cette seule scène qui m'a poursuivi si longtemps : un petit garçon aux pieds de sa grand-mère sur la galerie ensoleillée d'une petite ville de province.
Bonne nuit Da !"

. Dany Laferrière, L'Odeur du café, Serpent à plumes/Motifs, 2006.

3 commentaires:

GANGOUEUS a dit…

Bonjour Mademoiselle Frog,

L'Odeur du café m'a laissé une impression mitigée qui m'a empêché de poursuivre mon exploration de l'univers de Laferrière. Que j'avais aimé dans les 2 premières oeuvres que j'avais lu de lui...

Je trouvais qu'il s'impliquait pas trop dans cet ouvrage...

@ suivre.

Mademoiselle Frog a dit…

Bonjour Gangeous,

Pour tenter de te répondre, même si je comprends peut-être mal le terme "s'impliquer", et sans doute trop vite et trop mal (l'espace du commentaire demande concision et c'est un exercice qui ne m'est pas toujours facile), je dirai que j'ai trouvé dans L'Odeur du café comme une "illustration" à rebours de ce qui est exposé dans Je suis un écrivain japonais : la littérature est un lieu commun (dans tous les sens du terme, y compris celui de "cliché") toujours déplacé, toujours décentré : déplacé par celui la fait, déplacé par celui qui la lit.

Ici ce sont des fragments de mémoire, mémoire d'enfant haïtien mais aussi, après la métamorphose de l'écriture, mémoire d'un enfant d'une vague petite "ville de province", bref, une ville qui pourrait être toutes les autres.

C'est ce déplacement qui me plaît dans les deux livres que je viens de lire.

Car pour autant, c'est un déplacement qui ne perd complètement pas la trace de l'origine : par exemple, ici, Laferrière écrit aussi à partir d'Haïti, et il nous y emmène (cf l'incipit), nous y perd parfois, nous en écarte d'autres fois ; s'il y a rencontre et fusions apparentes, par les échos que l'on peut éprouver à la lecture de certains fragments notamment, d'autres se font jeu de l'écart : c'est ce qui m'empêche de dire "je suis haïtienne", et qui en même temps, me permet cette fiction que seule autorise la littérature : "je suis une lectrice haïtienne". (Un clin d'oeil à un passage du dernier roman, que je conseille mille fois, vraiment).

De la même manière, l'auteur, ses implications au monde, restent présentes, mais sont toujours mises en mouvement, jamais figées, jamais paralysantes : ça fait de la littérature, ça fait de lui un écrivain. Allez je lance un troll : tout le contraire de Sartre.

à suivre ? :)

GANGOUEUS a dit…

@ suivre :o)