Je suis un écrivain japonais, c'est aussi le titre du livre que le narrateur du roman envisage d'écrire. Ce ne sera d'ailleurs qu'un titre : ce livre, on ne l'écrira pas, qu'importe. Ici, tout est comme au théâtre, tout est comme si, comme si c'était possible. Et ça suffit ; ça suffit pour faire qu'un Haïtien vivant à Montréal devienne un écrivain japonais. N'en déplaise à tous les douaniers du monde littéraire et ses gardiens d'écoles.
"La vie debout.
C'est une guerre tenace entre le temps et l'espace. L'espace policier permet de t'identifier (Tu viens d'où, toi ?). Le temps cannibale te dévore tout cru. Né dans la Caraïbe, je deviens automatiquement un écrivain caribéen. La librairie, la bibliothèque et l'université se sont dépêchées de m'épingler ainsi. Etre un écrivain et un Caribéen ne font pas de moi un écrivain caribéen. Pourquoi veut-on toujours mélanger les choses ? En fait, je ne me sens pas plus caribéen qu'un Proust qui a passé sa vie couché."
Proust aurait pu être un écrivain caribéen : il était couché. Couché, il aurait pu suivre le pas de Basho et devenir écrivain japonais. D'ailleurs, Faulkner est un écrivain japonais. New-York est une ville japonaise ("L'Asie est si vaste"), Tokyo une ville américaine. Mais c'est un secret, n'oubliez surtout pas de le répeter !
Dany Laferrière est un écrivain voyageur, il prend le métro et habite des chambres -chambres chambre d'hôtel, chambre d'enfant, chambre claire du photographe : il (le narrateur ?) est toujours ailleurs.
"J'ai passé mon enfance à courir. Ce temps fluide m'habite. Chaque nuit, je rêve encore de ces orages tropicaux qui font tomber les mangues lourdes et sucrées dans la cour de mon enfance. Et aussi de cimetière sous la pluie. La libellule aux ailes translucides vue pour la première fois un matin d'avril. La malaria qui a décimé tout mon village et emporté mon premier amour, celle à la robe jaune. Et moi, fiévreux tous les soirs, en train de lire Mishima sous les draps. Et personne pour le dire qui était Mishima. (...) On ne sait pas toujours par quel chemin un écrivain arrive dans une famille. Et je le lisais pour quitter cette prison du réel. Mais je ne me réfugiais pas pourtant chez Mishima — la littérature n'a jamais été un refuge pour moi. Mishima, je suppose, n'écrivait pas non plus pour rester chez lui. On se retrouvait ailleurs, dans un endroit qui n'était ni tout à fait chez l'un, ni tout à fait chez l'autre. Dans cet espace qui est celui de l'imaginaire et du désir."
Toujours ailleurs et toujours autre. Demandez-lui d'où il vient et il perd le souffle, comme un poisson tiré des eaux. Qui il est ? Il vous répondra sans doute, malice aux lèvres : "Je suis vous : je ne parle que de moi." Ou peut-être : "Je ne suis pas", ce qui au fond revient peut-être au même : être le saumon et l'eau.
"La vie debout.
C'est une guerre tenace entre le temps et l'espace. L'espace policier permet de t'identifier (Tu viens d'où, toi ?). Le temps cannibale te dévore tout cru. Né dans la Caraïbe, je deviens automatiquement un écrivain caribéen. La librairie, la bibliothèque et l'université se sont dépêchées de m'épingler ainsi. Etre un écrivain et un Caribéen ne font pas de moi un écrivain caribéen. Pourquoi veut-on toujours mélanger les choses ? En fait, je ne me sens pas plus caribéen qu'un Proust qui a passé sa vie couché."
Proust aurait pu être un écrivain caribéen : il était couché. Couché, il aurait pu suivre le pas de Basho et devenir écrivain japonais. D'ailleurs, Faulkner est un écrivain japonais. New-York est une ville japonaise ("L'Asie est si vaste"), Tokyo une ville américaine. Mais c'est un secret, n'oubliez surtout pas de le répeter !
Dany Laferrière est un écrivain voyageur, il prend le métro et habite des chambres -
"J'ai passé mon enfance à courir. Ce temps fluide m'habite. Chaque nuit, je rêve encore de ces orages tropicaux qui font tomber les mangues lourdes et sucrées dans la cour de mon enfance. Et aussi de cimetière sous la pluie. La libellule aux ailes translucides vue pour la première fois un matin d'avril. La malaria qui a décimé tout mon village et emporté mon premier amour, celle à la robe jaune. Et moi, fiévreux tous les soirs, en train de lire Mishima sous les draps. Et personne pour le dire qui était Mishima. (...) On ne sait pas toujours par quel chemin un écrivain arrive dans une famille. Et je le lisais pour quitter cette prison du réel. Mais je ne me réfugiais pas pourtant chez Mishima — la littérature n'a jamais été un refuge pour moi. Mishima, je suppose, n'écrivait pas non plus pour rester chez lui. On se retrouvait ailleurs, dans un endroit qui n'était ni tout à fait chez l'un, ni tout à fait chez l'autre. Dans cet espace qui est celui de l'imaginaire et du désir."
Toujours ailleurs et toujours autre. Demandez-lui d'où il vient et il perd le souffle, comme un poisson tiré des eaux. Qui il est ? Il vous répondra sans doute, malice aux lèvres : "Je suis vous : je ne parle que de moi." Ou peut-être : "Je ne suis pas", ce qui au fond revient peut-être au même : être le saumon et l'eau.
1 commentaire:
J'aime beaucoup les extraits que tu as sélectionnés. Je viens de terminer ce livre qui me laisse assez songeuse. Pas évident d'en parler, d'en saisir le sens, en tout cas ta présentation en a saisi l'essence.
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