"(...) la parole de la dialectique n'exclut pas, mais cherche à inclure le moment de la discontinuité : elle va d'une terme à son opposé, par exemple de l'Être au Néant; or qu'y a t-il *entre* les deux opposés ? Un néant plus essentiel que le néant même, le vide de l'entre-deux, un intervalle qui toujours se creuse et en se creusant se gonfle, le rien comme oeuvre et mouvement. Certes, le troisième terme, celui de la synthèse, va remplir ce vide et combler l'intervalle, mais cependant en principe ne le fait pas disparaître (car tout s'arrêterait aussitôt), au contraire le maintient en l'accomplissant, le réalise en cela même qu'il manque et ainsi fait de ce manque un pouvoir, une possibilité encore.
Démarche formellement à ce point décisive que la philosophie semble devoir s'y reposer dans son mouvement. Cependant, plusieurs difficultés vont aussitôt faire éclater cette forme. L'une est que la part de discontinuité s'y révèle insuffisante. Deux opposés, parce qu'ils ne sont qu'opposées, sont encore trop proches l'un de l'autre ; la contradiction ne représente pas une séparation décisive ; deux ennemis sont déjà engagés dans un rapport d'unité, alors que la différence entre "l'inconnu" et le familier est infinie. De là que, dans la forme dialectique, le moment de la synthèse et de la réconciliation finisse toujours par prédominer. Formellement, cette mise hors jeu de la discontinuité se traduit par la monotonie du développement à trois temps (remplaçant la rhétorique classique des trois parties du discours), tandis qu'institutionnellement, elle aboutit à l'identification de la Raison et de l'Etat et à la coïncidence de la Sagesse et de l'Université."
• Maurice Blanchot, L'Entretien infini, "La pensée et l'exigence de discontinuité".
Ill. M. C. Escher (1898-1972) Reptiles (Lithographie) 1943
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