jeudi 28 février 2008

Dans le nu de la vie (2)

Marie-Louise Kagoyire, 45 ans
"Je suis revenue à Nyamata à la fin du génocide, en juillet. Plus personne dans ma famille à Mugesera, plus personne dans ma famille à Nyamata, les avoisinants tués, le dépôt pillé, les camions volés. J'avais tout perdu, j'étais indifférente à l'existence. Nyamata était très désolée puisque toutes les toitures, toutes les portes et fenêtres avaient été démontées. Mais c'est surtout le temps qui semblait cassé dans la ville. [...] Je veux dire qu'on ne savait plus quand tout ça avait commencé, du nombre de nuits et de jours que ça avait duré, en quelle saison on était, et finalement on s'en fichait vraiment. [...]
Le pourquoi de la haine et du génocide, il ne faut pas le demander aux rescapés, c'est trop difficile pour eux de répondre. Il faut les laisser en parler entre eux, il faut le demander aux Hutus."

Claudine Kayitesi, 21 ans
"Ces corps nus à l'abandon du temps, il n'étaient plus tout à fait eux, ils n'étaient pas encore nous. Il étaient un cauchemar véridique, je ne pense pas que vous pouvez comprendre."

Edith Uwanyiligira, 34 ans
"Pour moi, le génocide, c'était hier dans ma mémoire, ou plutôt l'année dernière ; et ça restera toujours l'année dernière, car je ne discerne aucun changement qui permette au temps de reprendre convenablement sa place."

• Claudine Kayitesi, 21 ans
"
On a duré dans cette existence hagarde. On était oubliés du temps. Il devait continuer de passer pour d'aures, des Hutus, des étrangers, des animaux, mais il ne voulait plus passer pour nous. Le temps nous négligeait parce qu'il ne croyait plus en nous, et nous, par conséquent, on n'espérait rien de lui. Donc on n'attendait rien."

Sylvie Umubyeyi, 34 ans
"Alors, nous nous sommes assis à terre et nous avons attendu la mort. Moi, je m'étais débarassée de la peur. Je m'accoutumais au brouhaha des hurlements, j'attendais le fer. Quelquefois, on a peur au déclenchement d'une situation, mais au fond, on avance en une sorte d'anesthésie. J'étais devenue patiente."

Angélique Mukamanzi, 25 ans
"Je pense qu'il n'est pas convenable de confier seulement au temps et au silence la difficile mission de réconciliation."

Sylvie Umubyeyi, 34 ans
"Souvent, je regrette le temps gâché à penser à ce mal. Je me dis que cette peur nous ronge le temps que la chance nous a préservé. Je me répète pour blaguer avec moi-même : 'Bon, si quelqu'un veut encore me couper, qu'il aille prendre sa machette, je ne suis après tout qu'une personne survivante, il tuera celle qui devait être tuée.', et je m'amuse de cette fantaisie.
Parce que si on s'attarde trop sur la peur du génocide, on perd l'espoir.
Quand je pense au génocide, dans un moment calme, je réfléchis pour savoir où le ranger, mais je ne trouve nulle place. Je veux dire simplement que ce n'est plus de l'humain."

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