jeudi 26 août 2010

L'instant et ses frontières

"Le bon moment

Il arrive toujours ce moment.
Le moment de partir.
On peut bien traîner encore un peu
à faire des adieux inutiles et à ramasser
des choses qu'on jettera en chemin.
Le moment nous regarde
et on sait qu'il ne reculera plus.

L'instant du départ nous attend à la porte.
Comme quelque chose dont on sent la présence
mais qu'on ne peut toucher.
Dans la réalité, il prend l'aspect d'une valise.

[...] *

En fait, la véritable opposition n'est pas
entre les pays, si différent soient-ils,
mais entre ceux qui ont l'habitude
de vivre sous d'autres latitudes
(même dans une condition d'infériorité)
et ceux qui n'ont jamais fait face
à une culture autre que la leur.

Seul le voyage sans billet de retour
peut nous sauver de la famille, du sang
et de l'esprit de clocher.
Ceux qui n'ont jamais quitté leur village
s'installent dans un temps immobile
qui peut se révéler, à la longue, nocif pour le caractère.

Pour les trois quarts des gens de cette planète
il n'y a qu'une forme de voyage possible
c'est de se retrouver sans papiers
dans un pays dont on ignore la langue et les mœurs.

On se trompe à les accuser
de vouloir changer
la vie des autres
quand ils n'ont
aucune prise
sur leur propre vie.

Si on veut vraiment partir, il faut oublier
l'idée même de la valise.
Les choses ne nous appartiennent pas."


• Dany Laferrière, L'Enigme du retour, Grasset, le reste du monde, 2009.

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