jeudi 28 août 2008

Unicité

'Mes sujets sont ma duplication'
Zohak faisait tout pour que s'accomplissent les promesses du voyageur. Il s'appliquait à couvrir l'empire des signes distinctifs de sa personne, de sorte que l'Iran soit un miroir du roi et de ses fantaisies. Ainsi, il osa soutenir cette hérésie inouïe, qui fit frémir les mobeds : que si le souverain était unique, son peuple se devait de l'être aussi. Tous, Mèdes, Mannéens, Lyciens et Perses, se devaient d'oublier ce qu'ils étaient, oublier leurs langues et leurs origines pour adopter celles du roi.
'Mes sujets sont ma duplication'
Et les mobeds avaient pâli.
- Mais Sire, un roi doit régner sur la pluralité du monde, il doit rassembler en lui tous les caractères du monde.

Mais le roi avait secoué la tête, avec son inimitable sourire. Et il répondit que non, que c'était au monde pluriel de s'unifier sous un monarque singulier, afin de ne plus ressembler qu'à lui. Et dans les écoles, on ne parlerait plus que la langue du roi et chaque nouveau-né devait être nommé dans la langue du roi. Et il advint une chose étonnante : chaque règne connaît ses opposants et ses bannis, mais sous le règne de Zohak, les mots eux-mêmes furent mis hors-la-loi. Et le roi se réjouit car il avait atteint ce qu'il désirait : un univers singulier, calqué sur sa personne. Et tout ce qui n'émanait pas de lui était retranché du monde."

• S. Alexie, Kawa le Kurde, roman, L'Harmattan, "Lettres kurdes", 2005.

2 commentaires:

GANGOUEUS a dit…

Il y a quelques jours je passais devant le temple de l'Oratoire du Louvre (Paris) et je regardais avec tristesse et amertume la discrète statue de l'Amiral de Coligny, leader protestant dont l'assassinat (si je ne m'égare pas dans mes souvenirs) est le démarrage du massacre de la Saint Barthélémy.

L'histoire appartient au vainqueur.

Les causes sous-jacentes de ces heurts étaient la nécessité d'avoir un peuple qui pense comme le Roi (ou la Reine), qui prie comme lui... Louis XIV s'appuyera sur ce principe d'unicité pour révoquer l'Edit de Nantes.

Il y a là une approche qui semble universelle...

Mademoiselle Frog a dit…

Oui, beaucoup de résonances ici ; au Kurdistan, cela reste d'une triste actualité.

Ta mémoire est bonne il me semble, et je crois même que Catherine de Médicis était dans le coup, la fourbe !

(Je viens de vérifier, nous avons juste !)